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démesurément gonflés par d’abondantes fontes de neige, franchirent impétueusement leurs rives, et, de gauche et de droite, se ruant avec fureur à travers les territoires qui les avoisinent, décharnèrent le sol et, à la terre végétale, substituèrent d’épaisses couches de gravier et des débris de roches de toutes formes et de tous volumes[1].

C’est ce Ladâk ravagé qu’a vu M. de Ujfalvy et dont il fait la base de ses appréciations. De ce Ladâk en ruine, nous

  1. La Râdjatarangini signale au Kachmir un pareil désastre par inondation sous le règne du roi Partha, au commencement du dixième siècle de notre ère. Voici comment s’en exprime Kalhana :

    « 269. Dans ce temps qui, semblable à une chute de sel dévorant, détruisait le peuple, il survint subitement une éruption d’eau qui noya toute la récolte du riz d’automne.

    « 270. Comme il était difficile de se procurer de la nourriture, un khâri (mesure de capacité dont je ne sais pas la juste équivalence) se vendant pour mille pièces de monnaie, une grande perte d’hommes eut lieu par la disette dans l’horrible année 93 (du cycle kachmirien) = 920.

    « 271. La Vitastâ (rivière du Kachmir et du Pendjab) fut partout couverte de cadavres gonflés de l’eau qui les avait pénétrés, de manière que le courant du fleuve pouvait à peine s’apercevoir.

    « 272. Tout l’espace de la terre, devenu une couche épaisse d’ossements, présenta un seul cimetière remplissant d’horreur tous les êtres. » (Râdjatarangini, t II, liv. V.)

    Mille ans environ auparavant, sous le règne de Tundjîna (troisième roi de la quatrième période), un siècle avant l’établissement de l’ère vulgaire, le Kachmir souffrit d’une grande disette, dont un hiver prématuré fut la cause. Voici le passage de la Râdjatarangini à ce sujet :

    « 18. Un grand froid survint tout d’un coup dans le mois de Bhâdrapada (août), lorsque tous les champs, revêtus du riz de l’automne, touchaient à leur maturité.

    « 19. Par ce froid, qui ressemblait au rire violent de Khâla (nom de Civa comme dieu destructeur), quand il se préparera la destruction de l’univers, périrent les récoltes futures du riz, avec l’espoir de la subsistance du peuple.

    « 20. Alors survint le ravage de la disette, et il s’éleva, pour ainsi dire, un rempart funèbre, formé confusément de cadavres d’hommes qui étaient morts de faim. »

    Dans cette lugubre situation, le roi Tundjîna et la reine Vakpuchtâ se disposaient à se sacrifier à la colère céleste, quand une averse de pigeons, chaque jour répétée, s’abattit sur les habitants survivants et arrêta les effets de la disette.

    « 50. Après qu’elle (la reine) eut parlé ainsi avec véhémence et par une