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I

Revenant, une fois encore, à onze mois de distance, sur la pratique de la polyandrie au Tibet, M. de Ujfalvy, qui, dans ces derniers temps, a pu fouiller et vider tous les compartiments de son portefeuille de voyage, nous a de nouveau affirmé que la polyandrie est, pour les populations tibétaines, une garantie de conservation et de perpétuité.

La première fois que notre collègue produisit ici cette affirmation, il négligea de l’appuyer de témoignages justificatifs. Il renouvelle aujourd’hui son affirmation, et soucieux, cette fois, de nous convaincre, il en accompagne l’expression de témoignages dont l’importance lui paraît de nature à nous entraîner à sa suite.

Au Ladâk[1], car c’est de cette province que M. de Ujfalvy entend surtout nous entretenir ; au Ladâk, nous dit-il, la terre est si rebelle à la production qu’il y a nécessité de faire obstacle à l’extension de la population, afin que, suffisamment tenue en arrêt et mise en rapport avec la pauvreté du sol, cette population puisse y trouver à vivre, et, doublant la dose de cette argumentation typique, notre collègue ajoute, en façon de preuve : « Il existe au Ladâk des familles qui, chacune, possèdent des territoires dont la superficie mesure jusqu’à 10 kilomètres carrés et plus, et dont chacune de ces familles tire à grand’peine sa subsistance. » Là-dessus, notre collègue exalte les bienfaits de la polyandrie qui, en supprimant quatre femmes, c’est-à-dire quatre agents de reproduction effective, dans un ménage commun à cinq maris, réduit ainsi à de moindres proportions les maléfices de la famine[2].

  1. Ladâk, en tibétain La-tags. Le Ladâk est aussi dénommé dMar-youl ou dMar-po-youl, c’est-à-dire « Terre rouge », ou encore Kha-chan-pa, c’est-à-dire « Terre de neige ».
  2. Le major Alexander Cunningham, dans son ouvrage : Ladâk physical, statistical, historical with notices of the surrounding countries, London, 1854, exprime la même pensée.