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UN SAUVETAGE

Tout marchait à souhait. Les affaires étaient en bonne voie, car le mariage le plus amoureux se double toujours d’une question d’affaires : c’est un intérieur à installer, un double avenir à assurer et à garantir contre le malheur.

L’oncle de Maurice s’entendait parfaitement avec M. Montfort. La satisfaction de bien établir son neveu donnait au brave homme l’humeur la plus joyeuse et l’incitait aux largesses.

Le baron se montrait également généreux. Suzanne ne l’avait pas fait languir trop longtemps et avait dit oui dès le lendemain de la promenade décisive ; immédiatement il s’était, lui aussi, occupé des affaires. Il reconnaissait à Suzanne une dot assez considérable pour lui assurer une large existence, quoi qu’il pût arriver.

Et maintenant, lorsque les jeunes filles jouent au tennis, le baron les regarde d’un œil d’envie, certes, mais d’une envie qui a un but, une raison, une certitude. Il regarde Germaine, svelte, gracieuse, vaporeuse, alanguie presque ; s’il la regardait longtemps et s’il la voyait seule, les regrets viendraient sans doute ; mais il voit à côté d’elle son amie Suzanne, les épaules droites, la poitrine ferme, splendide et capiteuse… Sa femme ! cette riche créature sera bientôt sa femme ! Son cœur se gonfle d’un espoir éperdu et il est prêt à verser des larmes d’attendrissement…

Il serre avec effusion la main de Maurice qui vient le rejoindre.

— Ah ! mon ami, que ne vous dois-je pas… Sans vous, je n’aurais jamais osé.

— Laissons cela, baron, il faut toujours oser. Vous restiez muet devant cette belle enfant et elle, elle attendait l’aveu de votre amour. Vous alliez vous tourner le dos et vous perdre faute d’un mot, vous entendez, faute d’un mot. Ne trouvez-vous pas qu’il est coupable de ne pas le dire ?

— Sans doute.

— Oui, mais on ne le fait pas. L’homme recommence éternellement son histoire avec les mêmes hésitations, les mêmes fautes…

— Quelle faute, quelle faute ? demanda Suzanne en survenant avec Germaine.

— La faute qui consiste à laisser passer la vie sans amour.

Toutes les deux avaient posé la main, d’un même geste sur l’épaule de leur fiancé, et tous les deux, à leur tour, la prirent et la portèrent à leurs lèvres.