— À propos, continua le malin jeune homme, ne deviez-vous pas m’apporter une certaine lettre ?
— Je l’ai dans mon sac. La voilà…
— Et même me la laisser, je crois ?
— À une condition…
— C’est très juste ce que je vous dis là, et c’est à cet âge que la femme peut vraiment inspirer l’amour, le vrai amour. On regarde les jeunes filles, on les admire, on a pour elles un sentiment frais et charmant, mais on n’aime vraiment que la femme, la femme qui arrive, comme vous, à l’épanouissement de sa beauté… Alors, cette lettre, vous allez me la laisser, n’est-ce pas ?…
Maurice s’était rapproché, il regardait Mme de Saint-Crépin dans les yeux, il avait saisi la main qui tenait la lettre, il la tapotait avec attendrissement ; elle le laissait faire et tournait vers lui des yeux blancs et humides.
Enfin il jugea que son émotion était à point et il lâcha son argument suprême ; se penchant encore plus vers elle, il lui murmura :
— Et puis, vous savez, je les ai vos palmes, ça y est…
— Vrai, c’est fait ?
Elle eut un mouvement de surprise, d’émotion ; elle porta ses mains à son front et la lettre resta entre les doigts de Maurice.
Il se leva pour l’escamoter plus facilement et lui donna à la place celle qu’il venait de recevoir.
— Oh ! quel bonheur ! s’écria-t-elle en tapant des mains.
— Vous ne regrettez pas trop Comtois ?
— Pas du tout.
— Et vous savez, nous serons aussi généreux que lui : dès qu’il nous sera possible, vous aurez la rosette.
— Oh ! merci, merci…
Elle avait pris les mains du jeune homme et les secouait avec véhémence.
— Que ne ferait-on pas pour vous ! dit-il.
— Vous êtes si gentil, soupira-t-elle avec un long regard qui donnait au mot une double entente.
Il y eut un silence assez long et assez pénible. Maurice attendait qu’elle parte, maintenant ; mais elle ne l’entendait pas ainsi : ils étaient seuls, l’occasion était trop belle, elle voulait risquer sa chance jusqu’au bout.
— Alors, vous gardez ma lettre ? dit-elle enfin.
— Mais oui, puisque vous voulez bien me la laisser.