amarre, ce tableau vivant, tout composé, sollicitait exclusivement son attention, et lui procurait une jouissance délicieuse.
À peine dégagé des liens de la mauvaise femme, il était repris par son art et, avec une prodigieuse faculté de détachement, il ne gardait plus déjà de celle qui l’avait torturé, qu’un souvenir très effacé, et comme estompé par la distance. Son amour malsain avait disparu de son coeur, à la suite de cette violente secousse morale, comme un fruit pourri tombe de la branche après une nuit d’orage.
Il alluma un des longs Virginias, que le Provençal lui avait apportés la veille et, accoudé au bordage, il laissa errer ses yeux sur la mer très calme, animée par le passage des bateaux de pêche et la fuite des grands navires à vapeur se dirigeant, suivis de leur panache de noire fumée, vers Civita-Vecchia ou Naples. Le vent, fraîchissant dans les voiles, poussait le cotre avec rapidité. Et déjà, dans la brume lointaine, apparaissaient de hautes montagnes violettes sous le grand soleil.
Pierre appela Agostino, et lui montrant l’horizon :
— Quelle est cette terre qui est devant nous ?
— La Corse, dit le matelot, de sa voix rude… Les montagnes, que vous voyez, vont de la pointe de Centuri jusqu’à Bonifacio… La petite île, qui se détache à peine à gauche, c’est Giraglia… Ce soir, nous passerons, entre sa batterie et le cap Corse, pour gagner Bastia… Sans la brume de mer, vous distingueriez la neige sur le mont Cinto… Mais, vous verrez… C’est un beau pays. Et puis le monopole du tabac n’y existe pas, comme en France, et on y fait librement le commerce… Sans compter que là, ce qui est défendu est permis tout de même !… Mais voilà qu’on, va déjeuner… Vous devez avoir faim ?…