homme, il se sentit déjà plus à son aise au milieu de ses compagnons de bord. Il pensa : Me voici comme Salvator Rosa parmi les brigands. Mais la fréquentation des hommes qui m’entourent est-elle plus pernicieuse que celle des gens à qui je serrais quotidiennement la main ? Il n’y a de changé que le ton et le costume. Encore, ceux-ci sont-ils plus accessibles à la générosité et à la reconnaissance que mes amis d’hier. Le coeur des uns est plus simple, plus droit que le coeur des autres. Et ces mauvais garçons qui tous ont mérité la prison, quelques-uns peut-être le bagne, sont moins gangrenés, moins pourris, que ceux dont je faisais ma compagnie habituelle.
Cette amère philosophie le fortifia, et il envisagea avec tranquillité, presque avec satisfaction, sa situation nouvelle. Il ne pensait plus à mourir, il n’avait plus aucune raison de maudire la vie. Elle lui fournissait des sensations inattendues qui fouettaient son imagination active. Mobile et impressionnable, s’enthousiasmant aussi vite qu’il se désespérait, son tempérament d’artiste, en un instant, l’emportait dans des conceptions séduisantes, qui remplaçaient toutes ses préoccupations anciennes. Changé de milieu, il éprouvait, non pas une gêne, un souci, mais un contentement, une quiétude. Il lui semblait qu’il venait de s’évader d’une prison dans laquelle, depuis de longs mois, il végétait enfermé. Il fêtait son indépendance, son affranchissement. Ses yeux rafraîchis, et comme affinés, étaient frappés de mille détails qui lui échappaient la veille. La teinte verte des flots frangés d’écume argentée charmait son regard. Il étudiait les dégradations de ton du ciel, d’un bleu intense au zénith, et d’un gris d’opale à l’horizon. La légère mâture du navire, les agrès, les voiles rouges, se découpant sur ce fond clair, la silhouette d’un matelot assis sur le bout-dehors et serrant une