en train de débarquer des soies, de l’eau-de-vie et des cigares, quand nous avons été dérangés, au beau milieu de notre opération, par ces faillis-chiens de gabelous. Les marchandises sont entrées, moins deux ballots de Virginias, coulés à pic, qui seront fumés par les rougets et les rascasses… Mais vous, monsieur, comment vous êtes-vous trouvé là juste pour tirer d’affaire le pauvre Agostino ?
Ce fut au tour de Pierre d’être embarrassé. Il ne jugea pas utile de confier à ses hôtes d’un jour le mortel projet qui l’avait amené sur la rive à point nommé pour arracher un homme à la mort au lieu de s’y livrer lui-même. La lenteur qu’il mit à répondre donna à penser, aux marins, qu’il avait des raisons pour ne pas fournir d’éclaircissement sur sa conduite. Ils n’étaient point gens à s’en étonner, et, par habitude, très disposés à la discrétion.
— Vos affaires ne regardent que vous, dit le Provençal, au moment où le peintre s’apprêtait à inventer une fable, et nous n’avons rien à y voir. Au lieu de vous faire causer, il vaudrait mieux panser la plaie que vous avez au front. Elle a saigné, ce qui est bon pour les blessures à la tête. Maintenant, une bande de toile, et, dans deux jours, il n’en sera plus question. Voulez-vous descendre dans le poste, avec les camarades ?
— Si cela ne vous fait rien, je préférerais rester sur le pont… Je n’ai pas le pied très marin et l’air me fera du bien…
— Comme vous voudrez.
Quelques minutes plus tard, Pierre, la tête ceinte d’un bandeau, s’appuyait au bordage du cotre et regardait la mer qui déferlait le long de ses flancs. Sur les vagues désertes, pas une voile en vue. Au loin, dans une brume légère, un feu tournant luisait par instants. La brise fraîche emplissait, délicieuse,