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et de vigueur, en quelques instants, les laissait dons une stupeur mêlée d’incrédulité. Et cependant cela était. Entre eux, Pierre ne reparaîtrait plus. À leurs côtés, sa place était vide pour toujours.

Jacques, sans une parole, reporta ses regards sur la carte dont il n’avait lu que le nom, et, essuyant d’un revers de main ses yeux remplis de larmes, il commença à lire le dernier adieu que lui adressait son ami. Il déchiffrait tout haut cette écriture tremblée, tracée au crayon dans la nuit. Un attendrissement irrésistible étranglait sa voix. Il sentait bien que Pierre était las de sa souffrance et de sa dégradation, et qu’il voulait mourir pour y échapper. Mais il voyait aussi que son ami songeait, en disparaissant, à conclure avec la destinée ce pacte étrange qui lui permettrait peut-être de revivre en Jacques. Il répéta lentement :

«Je vais renouveler l’expérience que nous a racontée Davidoff… Je te fais cadeau de mon âme… Vis heureux par moi, et pour moi…»

Un affreux rayon d’espoir illumina le regard du malade ; en même temps qu’un sanglot montait à ses lèvres. Il était bouleversé par la douleur, mais, au fond de lui-même, une vivifiante croyance déjà naissait.

— C’est moi qui l’ai vu le dernier, dit alors le médecin russe. Il m’a quitté pour aller chez Clémence Villa… Une scène violente, comme ils en avaient quotidiennement, a dû éclater entre eux… Il est ressorti, et, depuis, on ne sait ce qu’il est devenu… Des fraudeurs ont occupé, toute la nuit, les gardes-côtes sur la route de Vintimille. Il y a eu des coups de feu échangés… Et c’est près de l’endroit où l’échauffourée a eu lieu que le vêtement, le chapeau et la carte ont été trouvés…

— Et son corps ? demanda Jacques.