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Jacques l’interrompit, et subitement devenu nerveux :

— Quel préambule ! Et que de précautions ! Comment suis-je mêlé ?…

— Vous allez le comprendre, reprit Davidoff en dirigeant sur son malade un regard presque dur à force de fixité. Cette nuit, vers une heure du matin, un tragique suicide a eu lieu, tout près de Monte-Carlo… Un homme s’est jeté de la falaise dans la mer… Des douaniers, en faisant leur inspection, ont trouvé son paletot, son chapeau et un billet, qui vous est adressé.

— À moi ? s’écria Jacques en pâlissant.

— À vous… Le tout a été porté au gouverneur qui, sachant quels rapports affectueux nous avons ensemble, m’a fait avertir, afin que je puisse juger de l’opportunité qu’il y aurait à vous informer…

Les yeux de Jacques s’étaient enfoncés sous ses sourcils, subitement, comme tirés par une violente angoisse ; sa bouche se contractait, il haleta :

— C’est donc quelqu’un… qui me touche de très près ?

— De très près.

Davidoff lentement tira de son portefeuille la carte, sur laquelle le peintre avait écrit son dernier adieu, et la tendit au malade. Celui-ci, avec une sorte d’effroi, prit le mince carré de bristol, il lut le nom qui y était gravé, une rougeur ardente monta à ses joues, il s’écria :

— Pierre !… Pierre !… Est-ce possible ?

Et il demeura anéanti, les regards fixés sur le médecin russe, qui l’observait muet, immobile et tout noir. Ils ne parlèrent pas, comme s’ils avaient peur d’entendre le son de leur voix. Ils échangèrent un coup d’oeil plein d’horreur et de doute, tant la disparition de cet être rempli de santé