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ma folie, je me casserai la tête sur un de ces rochers, d’un si beau ton, qui sont au has de la falaise, et la mer bercera mon corps, comme une dernière amie.

Ces accès de mélancolie, Pierre Laurier ne s’y livrait pas seulement devant son ami. Quelquefois, en présence de Mme de Vignes et de Juliette, il s’était laissé aller à traduire son irritation en paroles désespérées. S’il avait alors regardé la jeune fille, il eût découvert, dans l’expression souffrante de son visage, une de ces raisons de se corriger qu’il implorait de la destinée. Mais il ne s’inquiétait pas de l’effet que produisaient ses paroles. Il était tout à la sincère expression de son découragement. Insensé ! L’espérance, ardemment appelée par lui, rayonnait, étoile lumineuse dans son ciel obscur, et il ne levait pas les yeux vers elle. Il demandait un être doux et charmant à qui il pût sacrifier ses dangereuses passions, et il l’avait tout près de lui, ému de sa douleur et palpitant de ses angoisses.

Cependant, malgré la tristesse que les humeurs noires de l’ami de son frère lui causaient, Juliette ne se plaignait pas de son sort. Elle voyait Pierre bourrelé de soucis, sombre et fantasque, mais elle le voyait. À Paris, elle ne le voyait pas : il y avait donc progrès. Elle savait que la méchante femme était à Monte-Carlo ; mais elle savait aussi que le peintre ne passait plus tout son temps auprès d’elle. Si la chaîne était toujours rivée, les anneaux se relâchaient, et, un jour, elle pourrait sans doute finir par se rompre. C’était tout ce qu’elle espérait. Elle n’avait pas beaucoup d’orgueil. Mais a-t-on de l’orgueil lorsque l’on aime ?

Le lendemain du dîner, qui avait été si bizarrement terminé par le récit du docteur Davidoff, vers dix heures du matin, Juliette, sa blonde tête abritée par une ombrelle, un petit panier au bras, suivait la terrasse de la Villa en cueillant