ce genre de vie… Mais je suis un fou, odieux et stupide !… N’ayant plus l’énergie de demander mon pain au travail, je l’attends du hasard… Je joue,— quelle misère !— pour essayer de prendre à la banque l’argent que me réclame une drôlesse que je méprise, qui me trompe et que je n’ai pas le courage de quitter… Et c’est là ce que tu regrettes ? Ce sont ces heures, passées autour d’un tapis vert, à la chaleur dévorante du gaz qui vous dessèche le cerveau, dans l’attente d’une série à rouge ou à noire. Puis le moment où l’on dépose la somme, si durement obtenue, dans les mains impatientes de la belle qui sourit, tout en feuilletant les billets : amour et comptabilité mêles ! Voilà le bonheur que tu rêves ! C’est celui dont je jouis, et je ne sais pas si je ne préférerais pas la mort !
Il riait lugubrement, devant son ami épouvanté par cette sombre colère, puis il reprenait, plus calme :
— Après tout, j’ai tort de juger les autres d’après moi-même. On t’aime, toi, tu es heureux et la vie t’offre des douceurs… Moi, je suis bafoué, méprisé, et je ne connais que des joies si âcres que leur souvenir m’est plus cuisant que celui de mes chagrins. Qu’aurais-je à regretter ? Rien. Par qui serais-je pleuré ? Par personne. Toi, au contraire, ta vie est nécessaire à ceux qui t’aiment, à ta mère, à ta soeur… C’est pour elles qu’il faut te guérir, et c’est à elles seules qu’il faut penser. Ah ! si j’avais auprès de moi un de ces êtres doux et charmants, dont l’affection console et guérit de toutes les souffrances, je trouverais le courage de me relever moralement et de redevenir un autre homme. Dans mes heures d’abattement le plus profond, j’ai souvent songé que si j’avais quelqu’un à qui me dévouer, je pourrais me montrer encore aussi sage que les meilleurs des hommes. Mais je suis seul ! Au diable la raison ! Quand j’aurai assez de