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organisme affaibli par la crainte et abattu par le doute. Jésus, qui fut un des grands thaumaturges de l’antiquité, disait à ceux qui lui demandaient de les guérir : « Croyez. » En effet, tout est là.

Ces théories, développées curieusement par le médecin russe, avaient d’abord intéressé Jacques, puis, peu à peu, leur germe subtil s’était glissé dans son esprit et y avait acquis un singulier développement. Il y avait des heures où le malade retrouvait l’espoir et se disait : Pourquoi, en somme, ne guérirais-je pas ? Il découvrait, dans sa mémoire, des exemples de sauvetages prodigieux. Des affections, beaucoup plus avancées que la sienne, arrêtées d’abord et ensuite disparues, sans même laisser da traces. Et ceux qui en avaient été atteints, menant l’existence libre et joyeuse, comme les plus vigoureux et les mieux dispos. Oh ! vivre, aller, venir, sans contrainte, sans inquiétude, se livrer à sa fantaisie, ne plus redouter le plaisir. Échapper aux gardes-malades, aux médecins, mépriser les précautions, s’affranchir des ménagements, pouvoir être imprudent tout à sa guise ! Quel rêve ! Et pourrait-il jamais le réaliser ? En désirant si ardemment la guérison, il n’avait qu’un but : recommencer les folies qui l’avaient réduit à cet état misérable. Lorsqu’il se laissait aller devant Pierre à ses regrets et à ses aspirations, celui-ci secouait mélancoliquement la tête, puis avec une profonde amertume :

— Est-ce donc la peine de souhaiter le plaisir ? Car est-il rien de plus vain et de plus décevant ? Ah ! soupirer après le succès et la gloire… Oui !… Se consumer en efforts pour y atteindre, voilà qui est digne d’un homme. Mais user ses jours et ses nuits à remuer des cartes ou à courtiser des femmes, peut-on rien concevoir de plus absurde et de plus navrant ? Je le fais pourtant, moi qui critique si rudement