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par conséquent ne plus souffrir, gémir et pleurer. Qu’ils me parlent, par la voix de la brise, par le murmure des flots, par le bruissement des plantes, et, pour aller jusqu’à eux, je franchis les portes de la mort.

À peine avait-il terminé cette incantation qu’il frémit, épouvanté de sa solitude. Il regarda peureusement autour de lui. La falaise était déserte, la mer vide et le ciel sans bornes. Soudain, entre deux nuages, la lune se montra et, dans l’espace illuminé, il sembla à Pierre que de blancs spectres passaient. Il abaissa ses regards vers la nappe d’eau qui s’étendait devant lui, et des feux follets lui apparurent entre les rochers. Ils allaient, venaient, sautaient, légers, brillants, s’évanouissaient pour reparaître, comme des âmes de naufragés rôdant, sans cesse, autour des brisants sur lesquels les corps, qu’elles habitaient, avaient péri.

Fasciné, Pierre ne pouvait détourner ses regards des fantômes nuageux, des lueurs vagabondes, et une sorte de torpeur s’emparait de lui. Des murmures emplirent ses oreilles, et, confus d’abord, ils se précisèrent chantant : Viens avec nous, là où n’existe plus la souffrance. Meurs, pour revivre incarné dans une créature de ton choix. Viens avec nous !

Pierre fit un effort pour se dérober à cette hallucination, il n’y réussit pas. Il se sentait anéanti, incapable d’un mouvement, ainsi qu’en état de catalepsie. Ses yeux se perdaient dans l’immensité de la mer et du ciel, et, à ses oreilles vibraient les paroles surnaturelles. Il pensa : L’initiation que je demandais m’est accordée. Les esprits se sont manifestés. Je crois à eux, je leur obéirai, mais qu’ils renoncent à m’obséder.

Comme s’il avait prononcé une formule magique, la vision s’effaça, les chants cessèrent. Il se leva, marcha sur la plage déserte, et il put croire qu’il avait rêvé. Mais il ne le crut pas. Avec