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devait prochainement disparaître. Et il s’en désespérait, tandis que lui, si facilement, aurait donné sa vie, en ce moment où, abreuvé de dégoûts, il la comptait pour si peu de chose. S’il avait pu faire un pacte avec son ami et lui céder sa surabondance de force, n’était-ce pas le salut pour le dolent et débile jeune homme qu’il aimait si tendrement ?

À cette minute précise, le récit du docteur Davidoff lui revint à la mémoire, et un amer sourire crispa ses lèvres. Si cette mystérieuse résurrection était possible, si le sortilège pouvait réellement agir, et s’il lui était accordé de faire passer son âme, à lui, misérable, torturé, dans le corps languissant de l’être cher, en qui défaillait si complètement l’énergie de vivre ? Ne serait-ce pas un miracle béni ?

Une mélancolie soudaine courba son front vers la terre. Il pensa : Elle m’a dit qu’elle l’aimait. Si je devenais lui, je serais donc aimé d’elle ? Je jouirais délicieusement de sa beauté et de sa grâce. Pour moi tous ses sourires et tous ses baisers. Il frissonna. Depuis si longtemps, la tendresse était absente des caresses de celle qu’il adorait encore, il le sentait bien maintenant, sans illusion, sans subterfuge, et qu’il ne pouvait se décider à quitter !

Dans la nuit, solitaire au milieu des rochers, en face de l’immensité du ciel et de la mer, il tendit les ressorts de sa volonté, pour une invocation suprême. Il fit appel à toutes les puissances invisibles. Si elles existent, dit-il mentalement, si, comme on l’affirme, autour de nous, dans l’air, et impalpables comme lui, glissent des êtres mystérieux, qu’ils se révèlent à moi par des signes que je puisse comprendre et je suis prêt à leur obéir. Je me donne à eux par le sacrifice de moi-même. Créature de chair, je rentre dans l’immatérialité et je m’abolis, avec délices, pour n’être plus moi et