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— C’est pour me torturer que tu as inventé celle histoire… ? Avoue-le, il n’y a pas un mot de vrai dans tout ceci ?

— C’est ce que tu verras….

— Clémence, prends garde… !

Les yeux de la jeune femme étincelèrent de fureur, elle se dirigea vers la sonnette, mais avec tant de précipitation que ses pieds s’embarrassèrent dans les plis de sa robe. Pierre eut le temps de la retenir par le bras :

— Tu me menaces, chez moi, cria-t-elle. Eh bien, je le prendrai, ton Jacques…. Oui, je le prendrai, rien qu’à cause de toi !

Le peintre, d’un geste de dégoût, la repoussa si brusquement qu’elle alla tomber sur le divan. Il prit son chapeau et d’une voix étouffée :

— Infâme créature ! J’aimerais mieux mourir, maintenant, que de m’approcher de toi ! Va ! continue ton ignoble existence ! Peu m’importe ! Je ne te reverrai jamais !

Il ouvrit la porte d’un coup de poing, comme s’il voulait user, contre les choses, une colère qu’il n’avait pas pu assouvir contre les êtres, et, d’un pas rapide, il sortit dans le jardin. Il entendit, derrière lui, la sonnerie électrique retentir sous la pression d’une main irritée, le pas du domestique glisser vivement sur le dallage du vestibule, et la voix rageuse de Clémence qui criait des ordres. Il ne s’arrêta pas pour écouter. Il était emporté par une exaspération qui lui donnait des envies de meurtre. Il s’était sauvé pour ne pas céder à la tentation de frapper Clémence. Et, à l’air libre, sous le ciel rempli d’étoiles, au milieu de la nuit qui sentait bon, rafraîchi par le vent de la mer qui passait dans les orangers en fleurs, il commençait à éprouver une grande honte. Était-ce possible que, pour cette fille, il eût, depuis un an, fait toutes les folies qui lui revenaient, misérables, à la mémoire ; qu’il eût subi toutes les humiliations dont il percevait plus vivement