être dédoublé. Il y avait, en moi, un être physique, qui agissait emporté par un tourbillon de furieuse folie, et un être intellectuel, qui protestait, en gémissant, contre tous ces excès. J’ai, pendant près d’une année, vécu comme un criminel qui se serait rendu compte de ses crimes, et qui, à mesure qu’il les aurait commis, s’en serait accusé et condamné. Voilà quelle a été ma vie…. C’est pour prolonger mon séjour dans cet enfer que j’ai trouvé bon que Laurier fut descendu dans l’éternité et naturel que tu allasses l’y rejoindre…. Mais un Dieu juste est intervenu, c’est Pierre et toi qui vivez, et c’est moi qui vais disparaître.
— Jacques ! interrompit la jeune femme, en se courbant sur la main de son frère, qu’elle mouilla de ses larmes.
Le mourant reprit sa respiration avec effort, et, plein d’une gravité suprême :
— Dis-moi que tu me pardonnes mes fautes, et que, quand je ne serai plus au milieu de vous, tu conserveras pour ma mémoire un peu de pitié et de tendresse.
— Oh ! oui, je te pardonne, puisque tu exiges que je prononce ces inutiles paroles ; et je n’y ai pas de mérite, car je t’aime.
Jacques eut un doux sourire :
— Les femmes, décidément, dit-il, sont meilleures que nous.
— Mais, mon Jacques, tu vivras.
Il hocha la tête, et, avec un dernier retour sur sa jeunesse flétrie et sa santé perdue :
— À quoi bon ?
Puis il changea d’expression et, avec une gaieté attendrie :
— D’ailleurs, ce n’est plus possible, car, maintenant, c’est toi qui possèdes l’âme de Pierre.
Six semaines plus tard, comme l’automne finissait, emportant