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de têtes. Ce jeune homme avait l’aspect d’un vieillard. Il ne se levait presque plus maintenant de son fauteuil. Les jambes couvertes d’un plaid, ses mains longues et diaphanes allongées auprès de lui, il restait à rêver devant la fenêtre, regardant, d’un air indifférent, les passants qui se hâtaient dans la rue. Il ne voulait même plus sortir en voiture, accompagné par sa mère, pour aller respirer au Bois. Avec un sourire il répondait :

— Il faut avoir un peu de coquetterie, et ne point se montrer si faible et si misérable à ceux qui vous ont connu jeune et vigoureux. Sors, chère mère, va sans moi ; tu me raconteras ce que tu auras vu, j’aurai ainsi le plaisir sans la fatigue.

Sa mélancolique figure ne s’éclairait d’un rayon de joie que quand arrivait sa soeur. Il ne pouvait se passer d’elle et s’excusait de la prendre si égoïstement à son mari :

— Qu’il me pardonne : il me reste bien peu de temps à te voir, et lui, il a toute sa vie.

Un jour il lui dit :

— Te rappelles-tu, Juliette, la terrasse de Beaulieu et la conversation que nous y avons eue ?

La jeune femme frissonna, à l’horreur de ce souvenir. Elle voulut interrompre son frère, l’empêcher d’évoquer ces tristes jours. Mais il insista avec une force inusitée :

— Oh ! c’est un remords si cuisant pour moi, qu’il faut, vois-tu, que je m’en délivre. La nuit, pendant mes insomnies, j’y pense toujours…. C’est un poison que j’ai dans le coeur et qui me dévore…. J’ai été bien coupable envers toi, si innocente et si douce. Oh ! tant que tu ne m’auras pas pardonné, je ne serai pas tranquille !

— Mais qu’as-tu fait, pauvre frère, dont il faille t’accuser ?… Nous partagions les mêmes regrets et nous pleurions ensemble.