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sur lui les regards de tous les convives. Il s’offrit à leurs regards, pâle, les lèvres crispées et les yeux étincelants.

— Oui ! oui ! s’écria-t-il, sans s’inquiéter de leur étonnement, le dîner de Monte-Carlo fut moins gai que le déjeuner de ce matin…. J’étais mourant d’abord, et, aujourd’hui, je me porte bien. Oh ! très bien ! Grâce à Davidoff, qui nous a fait une admirable théorie sur la transmission des âmes…. Vous n’en avez pas perdu le souvenir, Patrizzi ?… Ni vous, Trésorier ?… Il nous conta l’aventure d’une jeune fille russe…. Oh ! la bonne aventure, et le joyeux mystificateur, que ce Davidoff !… Personne de nous ne prit son récit au sérieux…. Pas même vous, Patrizzi, qui cependant êtes Napolitain et, par conséquent, superstitieux !… Car vous croyez au mauvais oeil, n’est-ce pas, prince ?

— Ne plaisantez pas avec ces choses-là ! répondit Patrizzi, qui, soudain très grave, fit, avec deux doigts de sa main gauche, un signe rapide derrière son dos.

— Ah ! ah ! ah ! ricana Jacques, avez-vous vu le geste du prince ? Il a conjuré le mauvais sort…. Il croit à la jettatura !… Et, pourtant, il n’a pas ajouté foi aux démonstrations de Davidoff…. Personne n’y a cru…. Personne ! Excepté cependant Pierre Laurier…. Mais tout le monde sait que le pauvre garçon était devenu fou !

Un silence de mort accueillit ces étranges paroles. Tous les assistants demeurèrent glacés. On eût dit que le spectre de celui que tous avaient connu, estimé et aimé, allait apparaître. Les hommes se regardèrent entre eux, gênés par cette exaltation subite, qui faisait tourner au noir cette fête commencée si joyeusement. Les femmes se mirent à rire, inconscientes de ce qui se passait. Clémence, furieuse, mordant ses lèvres blêmissantes, donna un coup sec de son couteau