Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/226

Cette page n’a pas encore été corrigée

sourire. Ce sourire, il le connaissait bien. Il en serait de Faucigny comme de tant d’autres. Et le front de Jacques se crispa douloureusement. Il vida, coup sur coup, ses verres pleins de vins différents et une rougeur monta à ses pommettes. Il eut un mouvement de colère, il pensa : Je suis morose, voilà pourquoi Clémence se détourne de moi…. Et n’est-il pas juste que je souffre par elle, pour qui je commets tant d’infamies ?

Il s’entendit interpeller. C’était Patrizzi, qui, de l’autre bout de la table, lui criait :

— Dites donc, Jacques, est-ce que ce déjeuner ne vous rappelle pas notre dîner de Monte-Carlo ? Quelques-uns de ces messieurs et presque toutes ces dames en étaient…. Ce fut moins gai, ce soir-là, qu’aujourd’hui…. Et quelles diables d’histoires ! Vous en souvenez-vous ?

— Au fait, comment le médecin russe, qui voyage avec Woreseff, n’est-il pas ici ? demanda Andrée de Taillebourg.

— Il est à Paris, depuis cinq jours, dit Patrizzi.

À ces mots, Jacques vit se dresser devant lui l’image triste et pâle de Juliette. Elle était assise, dans le salon où il avait passé tant de soirées, lorsqu’il était encore un fils soumis et un frère tendre. Mme de Vignes, inquiète, se penchait vers sa fille, et Davidoff, debout, la regardait avec compassion. Il sembla au jeune homme que sa mère avait prononcé son nom, et que le docteur avait répondu en hochant douloureusement la tête. N’était-ce pas lui, qui aurait dû être auprès des deux femmes ? Pourquoi cet étranger consolait-il sa mère et sa soeur ? Une voix murmura à son oreille : C’est parce que tu as refusé de faire ton devoir, parce que tu as sacrifié ta mère au jeu, ta soeur à ta maîtresse, parce que tu es un lâche et un ingrat !

Il éclata d’un rire inattendu, inexplicable, effayant, qui attira