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l’abattement, de plus en plus profond, de la jeune fille ? Davidoff avait été accueilli comme un sauveur. Graduant savamment ses confidences, il avait jeté, dans la pensée de Mme de Vignes, un tout petit grain d’espérance, qui avait levé comme en terre féconde. Peu à peu, la semence avait poussé des racines qui s’étaient étendues vivaces. Et maintenant la fleur prête à s’épanouir n’attendait plus qu’un dernier rayon de soleil. Depuis le commencement de la semaine, Juliette, sans preuves, sans autre raison plausible que son ardent désir de voir le miracle se réaliser, s’était prise à croire que Pierre était vivant.

Les «on dit» de Davidoff avaient été avidement accueillis par ce jeune coeur. Pourquoi Pierre, sauvé par des marins et emmené à bord d’un petit bâtiment de commerce, n’aurait-il pas été rencontré par ces voyageurs qui déclaraient l’avoir vu ? Pourquoi, honteux de son suicide annoncé et non exécuté, Pierre ne serait-il pas resté à l’écart, près de moitié d’une année ? Pourquoi n’aurait-il pas laissé la famille de Vignes ignorer qu’il vivait ? Tout cela était admissible. Et la jeune fille avait un tel besoin de l’admettre qu’elle eût tenu pour vraies de bien plus étranges histoires.

Chaque jour, Davidoff, poursuivant sa cure morale, rendait compte à Juliette des découvertes que produisait l’enquête qu’il était censé faire. Et, chaque jour, il assistait à l’éveil de cette âme engourdie et glacée. C’était un spectacle charmant que celui de cette floraison timide. Juliette espérait, mais elle avait peur d’espérer, et, par instants, elle se retenait sur la pente où son imagination l’emportait. Si, après cette période heureuse, il allait falloir retomber dans la désolation ? Si tout ce qu’on disait n’était point vrai ? Si Pierre n’avait pas survécu ?

Une horrible agitation était en elle. Il lui semblait impossible