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dépeindre l’état de son esprit ? Pour le connaître, tous n’avez qu’à tous souvenir.

Comme Laurier demeurait immobile et muet, la tête penchée sur sa poitrine, le Russe reprit avec force :

— Il l’adore, comprenez-vous, Pierre ? Il l’a adorée, toute chaude encore de vos caresses… Et il ne vit plus que pour elle !…

Le peintre releva la tête et, d’une voix triste, avec une compassion profonde :

— Le malheureux ! Pour elle, pour une pareille créature, il a tout oublié, tout compromis !… Mais il faut le plaindre plutôt que l’accuser… Elle est si redoutable !…

À ces paroles, la figure de Davidoff s’éclaira, ses yeux pétillèrent de joie, il alla à son ami et, avec une ironie affectée :

— Ainsi, dans votre coeur, vous ne trouvez pour Jacques que de la pitié ?

— Et quel sentiment autre voulez-vous que j’éprouve ?

Dois-je le blâmer, après avoir été plus faible et plus coupable que lui ?… Non ! je ne puis que le plaindre !

Davidoff prit la main de Pierre, et la serrant vigoureusement :

— Et pas un tressaillement dans votre chair, à ce rappel de l’amour ancien ?… Pas une émotion dans votre esprit ? Aucun retour vers la femme, aucune irritation contre l’ami ?

— Voilà donc ce que vous craigniez ? s’écria Laurier, dont le pâle visage se colora. Vous vous demandiez si j’étais bien guéri de ma passion insensée, et vous m’avez fait subir une épreuve ? Ah ! n’ayez plus de défiance, parlez ouvertement… Vous m’avez suspecté ?

— Oui, dit Davidoff avec fermeté. J’ai voulu savoir si, à votre insu même…

— Ah ! interrogez, cherchez, fouillez ma pensée, s’écria Pierre.