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grâce naïve et touchante, la jeune fille qui m’attend là-bas ; à toi, enfin, brave garçon, qui as été cause qu’au moment où, désespéré, je songeais à me tuer, j’ai voulu vivre pour essayer de te sauver. Tu m’as rendu à moi-même. C’est par toi que je me suis senti encore attaché à l’humanité…. Non ! je ne vous oublierai jamais, et, dans la tristesse ou dans la joie, ma pensée bien souvent ira vous retrouver.

Agostino, à ces mots, ne put retenir ses larmes, et, plus bouleversé que s’il avait perdu un des siens, il se mit à sangloter, pendant que les gens de la noce, tout au plaisir, chantaient, criaient et tiraillaient dans le verger. Pierre calma le brave garçon, et, avec fermeté :

— Maintenant, comprends-moi bien. Il faut que je sois à Paris le plus tôt possible. Quand part de Bastia le prochain bateau et où fait-il escale ?

— La Compagnie Morelli a un vapeur qui chauffe, le mardi, pour Marseille. En descendant ce soir à la ville, vous retiendrez votre place, et demain, à la première heure, vous serez en mer. De Bastia à Marseille, il faut compter trente heures….

— Dans trois jours donc, je serai à Paris…. De là, mon cher Agostino, tu me permettras d’envoyer quelques souvenirs aux chères femmes qui vont vivre autour de toi…. N’aie point de scrupules, tu m’as vu, pendant près d’un an, sous des habits de paysan, mais je ne suis pas pauvre…. Fais taire ta fierté corse : de ton frère, tu peux tout accepter pour ta mère, ta soeur et ta femme…. Pense à moi et sois sûr que tu me reverras. Le jour où je reviendrai dans l’île, peut-être ne serai-je plus seul…. Alors c’est que le ciel m’aura pris en grâce et que j’aurai retrouvé le bonheur…. Adieu jusque-là, et embrasse-moi !