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apitoyée, cette sombre folie. Il la connaissait cette passion qui avait conduit tant d’hommes à l’hébétement et au suicide. Il la savait faite de l’enivrement des sens, de l’exaspération de la vanité, et aussi d’une espèce de mystérieuse terreur, qui s’emparait de ces viveurs, habitués au tumulte de leur existence enfiévrée, à la pensée de vivre désormais dans l’isolement et le silence. Après cette fête sans trêve, se retrouver seul, en face de soi. Autant l’ensevelissement à la Trappe, au sortir d’un bal. Il fallait une âme forte, un cerveau bien trempé pour supporter ce formidable changement.

Il dit à Jacques :

— Venez avec moi, je vous donne ma parole que je ne vous quitterai pas que vous ne soyez guéri physiquement et moralement.

Celui-ci éclata d’un rire nerveux, strident, pénible :

— Non ! non ! abandonnez-moi !… Je ne veux pas être défendu !… Je suis condamné, rien ne prévaudra contre l’arrêt du sort…. Je n’ai vécu que pour le malheur…. Je suis voué à toutes ces tortures….

Il baissa la voix, comme effrayé :

— Vous savez bien que ce n’est pas moi qui agis, qui parle, qui souffre et qui pleure…. Un autre est en moi, qui me conduit à la catastrophe…. Je voudrais m’arrêter que je ne le pourrais pas…. Oh ! je la sens bien s’agiter, furieuse, l’âme implacable…. Elle est jalouse ! Elle se venge de moi-même, sur moi-même !…. Tant qu’elle animera mon corps, je souffrirai…. Le jour où j’en serai délivré….

À ces mots, Davidoff fit un geste violent, ses sourcils se froncèrent et il fut sur le point de crier à Jacques : Vous êtes fou ! Laurier a disparu, mais Laurier est vivant !… Je me suis prêté à votre fantaisie, parce que j’ai eu la conviction