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— Ah ! ah ! vous l’avez vue ? Et, elle s’est plainte de moi, n’est-ce pas ? La misérable ! C’est elle qui est cause de tout. Oui, elle me perd, elle me tue ; ce que je souffre par elle, il est impossible de le concevoir… Je ne sais pas quelle folie elle m’a jetée dans le cerveau. Comprenez-vous que je sois jaloux d’elle ?… Oui, jaloux, jusqu’à la fureur, d’une fille que tout le monde a eue ou aura ! À quel état moral suis-je arrivé ! Ce matin nous avons échangé des paroles affreuses… Elle m’a, dans le langage des halles, mis à la porte ; vous entendez, mis à la porte comme un laquais !… Et je suis resté, et je reste ! Pourquoi ? Parce que je ne puis me passer de cette infâme créature, que je voudrais battre et caresser à la fois. Fille abjecte et adorable, que je maudis de loin, à travers deux étages, et que je prierais, à genoux, si elle était là et si elle l’exigeait !

— Essayez de vous éloigner d’elle, pendant deux jours !…

— Non ! non ! C’est impossible ! Je trouverais, en revenant, la place prise. Vous ne savez pas combien elle est entourée, sollicitée, tentée… Oh ! elle me trompe !… J’en ai eu encore la preuve ce matin. C’est ce qui a excité ma colère… Mais elle est à moi tout de même… C’est moi qui l’ai le plus !… Je la vois, du matin au soir… Quel vide, dans mon existence, si elle disparaissait !… Non ! j’ai tout sacrifié à cette femme. J’ai tout subordonné à elle… Il faut que je la garde… Ou alors c’est la fin…

Il cacha son visage entre ses mains, et resta quelques secondes silencieux, puis, avec un accent désespéré :

— Lorsque je serai à bout de ressources, elle me contraindra à partir. Je ne l’ignore pas. Elle ne fait pas crédit. J’ai été obligé de prendre des arrangements, avec mon notaire, et je vais continuer à jouer pour soutenir mon train… Oh ! je n’irai pas loin, car la chance n’est pas pour moi….