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Au même moment, Wladimir Alexievich, honteux, vida d’un trait la coupe grossière, et il lui sembla qu’il était en proie à une ivresse subite. Une chaleur délicieuse le pénétrait, et il devenait léger, léger, à croire qu’il allait s’envoler. Ses regards étaient voilés d’un brouillard lumineux, comme si, à travers un nuage, de vives clartés avaient frappé ses yeux. Son sang pétillait dans ses veines, et des hymnes séraphiques chantaient à ses oreilles. Il se sentit emporté dans des espaces immenses, et sur son front glissèrent des fraîcheurs exquises. Peu à peu, il perdit le sens des choses terrestres, et, au milieu d’un transport divin, dans une béatitude extatique, il vit s’avancer vers lui, figure céleste, une blanche et sublime apparition qui, d’une voix douce comme le chant des anges, lui dit :

— Tu veux racheter la vie de celle que tu aimes ? Donne la tienne en échange. Ton âme dans son corps, et ton corps, à toi, dans la froide terre. Tu n’auras rien à regretter, puisque tu seras en elle, et que son bonheur sera la source de ta joie.

Le céleste fantôme s’abolit dans les lumineuses brumes, et Wladimir Alexievich revint à lui. Il se retrouva dans le bouge de la Tongouse, près d’un feu de sapin fumeux. La vieille marmottait des paroles confuses et ne paraissait pas s’occuper de son hôte d’une heure. Épouvanté de ce qui lui avait été révélé, le jeune homme essaya de réfléchir, de se rendre compte de son étrange aventure. Il ne vit, devant ses yeux, qu’une sorcière sale et indifférente, qui l’avait mis en rapport avec les Esprits, comme le gardien d’un temple vous ouvre le sanctuaire où resplendissent les dieux. Il mit la main sur l’épaule de la vieille. Elle tourna vers lui des regards ternes, et de sa voix sardonique :

— Eh bien ! Sais-tu ce que tu voulais savoir ?

— Par quel moyen m’as-tu enlevé la connaissance des choses