produits, chaque jour se penchait plus pâle, plus frêle. Cependant, par un effort de son esprit, elle parvenait à affecter de la gaieté, afin de donner le change à Mme de Vignes. Mais la comédie, jouée par la fille, ne trompait pas la mère. Et les deux femmes, composant leur visage pour se faire mutuellement illusion, vivaient secrètement dans le chagrin.
Les médecins consultés avaient conclu à de l’anémie. Ils ne voyaient aucun organe atteint : ni le coeur ni la poitrine. Ils constataient néanmoins un graduel affaiblissement des forces. Il semblait que Jacques eût pris à sa soeur toute sa vigueur et lui eût donné toute sa débilité. Ce n’était pas un mince sujet d’étonnement pour ces praticiens qui soignaient, l’an passé, le frère, de voir celui-ci mener son orageuse existence, tandis que Juliette, rayonnante au dernier printemps, se courbait maintenant maladive. Et Jacques, que ces deux femmes avaient entouré de tant de soins et de tendresse, ennuyé par les doléances de sa mère, glacé par le triste sourire de sa soeur, espaçait ses visites avec un égoïsme féroce, jouissant à outrance de la vie retrouvée.
Le mois de juin était arrivé, et Clémence avait désiré, comme elle en avait l’habitude, s’installer à Deauville. Sélim Nuño, depuis des années, mettait à la disposition de la comédienne sa splendide villa. Jacques, qui voyait déjà avec ennui les visites fréquentes que le vieux financier faisait à la jeune femme, se cabra dès que celle-ci parla de son projet. Aller au bord de la mer, bon ; choisir Deauville, parfait. Mais accepter l’hospitalité de Nuño ? Pourquoi ? À cette question Clémence répondit facilement :
— Il y a juste dix ans, mon cher, que Sélim est un ami sûr pour moi. Je lui ai dû beaucoup, autrefois, et je ne répondrais pas de ne lui point devoir encore dans l’avenir…
— Tant que je serai là, c’est bien improbable.