Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/155

Cette page n’a pas encore été corrigée

la chair et les nerfs. Elle fut le satanique succube de cet heureux infortuné, qui se trouvait au comble de la félicité, et ne mesurait pas la profondeur de sa chute.

Dans cette ivresse, qui les possédait, ils arrivèrent à l’époque fixée pour le départ. Et Clémence, ne pouvant supporter l’idée d’être séparée de Jacques, se disposa à le suivre. Ils abandonnèrent à regret ce pays délicieux, fait pour l’amour. Mais ils se consolèrent, en pensant qu’à Paris, ils auraient bien plus de facilités pour être l’un à l’autre, et, s’ils le voulaient, ne se quitteraient presque plus.

Le retour produisit, sur elle et sur lui, un effet très différent. Jacques éprouva une joie profonde à rentrer dans la ville qu’il avait craint, pendant ses mauvais jours, de ne revoir jamais. Le mouvement des rues, l’animation de la foule, le saisirent et le grisèrent. Il quittait le plus charmant climat, il venait d’avoir sous les yeux, un merveilleux décor. Le ciel brumeux de Paris, ses larges avenues de pierre, lui semblèrent admirables, et il s’avoua, à lui-même, que rien de plus beau n’existait au monde. Il réoccupa, joyeux, son appartement de garçon, et s’y confina délicieusement.

Clémence, elle, réinstallée dans son monumental hôtel de l’avenue Hoche, retrouva, avec son luxe, les soucis de l’existence. Là-bas, à Monte-Carlo, elle vivait comme une petite bourgeoise. À Paris, elle redevint la grande demi-mondaine dont le train de maison coûtait trois cent mille francs tous les ans. Jacques ne la reconnaissait plus. En elle, une transformation soudaine s’était opérée. L’allure, le ton, la façon d’être de Clémence avaient entièrement changé. Elle parlait bref, elle regardait d’un oeil impérieux. On se sentait en face de la femme armée pour la bataille de la vie, et toujours en garde, afin de n’être pas surprise et vaincue.

Elle témoigna à Jacques une vive tendresse, elle lui déclara