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celui qui est coupable, celui qui n’est que faible. Détourne-toi d’elle, prends garde. Vois ce qu’elle a fait de moi. Elle a menti, quand elle t’a dit que j’avais souhaité que tu l’aimasses. Non ! Je l’ai fuie jusque dans le néant et elle me fait horreur. Ne la crois pas, ne l’écoute pas, ne la regarde pas. Ses regards avilissent, ses paroles corrompent, ses embrassements tuent ? Écarte-toi de son chemin. Et, si elle t’approche, si elle te cherche, si elle t’appelle, mets la distance entre elle et toi. On ne lui résiste pas, quand on est près d’elle. En ce moment, tu as le choix de vivre ou de mourir.

La sombre figure de Laurier disparut, et Jacques se trouva seul, en face de la mer mouvante, dans ce désert enchanté, où la nature s’épanouissait radieuse sous le clair soleil. Il se dit : Je deviens visionnaire. Que signifient les craintes et les scrupules qui me tourmentent ? Mon existence peut-elle dépendre de cette femme ? Et, parce que je l’aimerai, ne fût-ce qu’une heure ou qu’un jour, serai-je perdu ? Enfantillages d’un cerveau encore faible. Je ne suis pas aussi bien guéri de mon mal que je le croyais. Mais qu’est-ce qui jette en moi le trouble que je constate ? Quelle crise morale est-ce que je subis ? Est-ce donc criminel à moi d’aimer la femme que Pierre a aimée ? Car c’est bien de là que naissent les rébellions de ma conscience. Fais-je donc mal ? Et d’ailleurs n’y a-t-il-pas une large part de fantaisie individuelle et de convention sociale, dans ce qu’on est convenu d’appeler le bien et le mal ? Son égoïsme lui répondit : Il y a ce qui plaît, ce qu’on désire, et voilà tout.

Et la femme inquiétante, défendue, lui plaisait, il la désirait. À ce que sa raison lui suggérait d’arguments, contre la passion qui l’entraînait, son coeur se faisait sourd. Au moment même où il était assis sur la roche chaude, les pieds au bord