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de Laurier, éprouvant comme le remords d’une complicité criminelle dans sa fin tragique.

— C’est ici que j’ai perdu l’homme que j’aimais le mieux, et rien ne me consolera de sa perte. Je me figure qu’en partant je m’éloignerai de lui davantage. Et pourtant je ne sais où aller le pleurer, puisque les flots ne nous l’ont pas rendu, puisque nous n’avons pas eu la consolation suprême de lui adresser une dernière prière. Et c’est ce pays, tout entier, où je l’ai vu passer, marcher, pour la dernière fois, qui me retient, comme si j’avais une secrète espérance de l’y voir reparaître un jour.

À ces mots, Juliette tressaillit et ses yeux se levèrent interrogateurs. Elle eut un geste de joie aussitôt réprimé.

— Crois-tu donc possible qu’il ne soit pas mort ? demanda-t-elle.

Il répondit d’une voix creuse :

— On n’a point retrouvé son corps.

— Hélas ! est-il le premier que la mer jalouse aura gardé ? s’écria la jeune fille avec une expression déchirante. Non ! nous ne devons pas conserver d’illusions et nous bercer avec des rêves. Il a douté de l’avenir, il a méconnu ceux qui l’aimaient, il a désespéré de la vie. Et le malheur est certain, irréparable ! Nous ne reverrons plus le pauvre Pierre ! Il est parti pour toujours… Nous n’entendrons plus sa voix… ni son rire, ni même ses plaintes… Il s’en est allé là d’où l’on ne revient pas !… Et nous pouvons le pleurer, va, sans crainte que nos larmes soient perdues !

Elle s’était, en parlant ainsi, animée, et sa douleur, cessant d’être contenue, débordait de son coeur sur ses lèvres, comme un torrent grossi par un subit orage. Saisi, Jacques regardait sa soeur, et, dans l’âpreté du regret avoué, il cherchait quelque trace d’un reproche adressé à lui-même. Il se