Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/140

Cette page n’a pas encore été corrigée

c’était rouge qui sortait, Juliette mourait ; et si c’était noir, il retombait, lui, dans sa déchirante agonie.

Un égoïsme féroce le saisit, l’affola, et il s’attacha désespérément à la vie. Il se sentit capable de tout pour la conserver. Rien ne l’arrêterait, pas même un crime. Il eut la lâcheté de lever les yeux sur l’enfant souffrante et pensive, qui marchait dans le jardin, et de se dire, avec une infâme satisfaction : Il y a deux mois, c’était moi qui me traînais le long de cette terrasse ensoleillée, et maintenant je suis fort, et je peux jouir de l’existence. Tous mes regrets, toutes mes plaintes, qui paraissaient inutiles, je peux y faire trêve et donner carrière à mes désirs et à mes espérances. J’ai failli tout perdre, et j’ai tout reconquis. La vie afflue en moi, triomphante, qu’importe le prix dont je l’ai payée !

Dans le silence profond de sa conscience, il ne s’éleva pas une voix pour protester contre cette monstrueuse divinisation de son moi. Son cerveau se ferma à toute pensée généreuse. Rien ne palpita en lui, à cette effroyable absolution, qu’il se donnait de tout le mal qu’avait coûté, et qu’allait coûter encore son inutile existence.

Cependant, au milieu de son impassibilité morale, une phrase prononcée par sa mère le fit tressaillir. Mme de Vignes avait dit :

— Je crois que Juliette aimait secrètement Pierre Laurier… Je n’ai pas osé l’interroger, craignant de l’entendre me répondre affirmativement. Car je n’aurais eu aucune consolation à lui apporter, hélas ! Et est-il rien de plus cruel, pour une mère, que de voir son enfant se désoler, sans pouvoir lui offrir une espérance ? Pourtant il faudrait connaître l’état de son coeur. Car, c’est là, peut-être, qu’est la plaie que nous devons essayer de guérir.

Il sembla à Jacques qu’une force, à laquelle il ne pouvait résister,