— Ne le savez-vous pas ?
Elle se rapprocha de lui, qui détournait ses regards, et, avec une audacieuse autorité, lui saisissant le bras :
— C’est chez moi qu’il a passé sa dernière soirée. C’est à moi qu’il a adressé ses dernières paroles. Je sais ce que tout le monde, et Davidoff lui-même, ignore. Pierre, las de sa vie fiévreuse, désillusionné sur sa valeur artistique, ayant perdu tout espoir en l’avenir, a eu une défaillance morale, et, obéissant à je ne sais quelle cabalistique superstition, il a voué sa mort au salut d’un être cher…
— Taisez-vous ! interrompit Jacques presque menaçant.
— Pourquoi ? Avez-vous donc peur de son ombre ? Elle ne saurait être, pour vous, ni irritée ni méchante… Il savait que je vous aimais. Il m’a dit, dans le paroxysme de son suprême désenchantement : Il t’aimera mieux que moi. Et si quelque chose, de ce que je fus, subsiste en lui, ce sera, pour moi, un ressouvenir de la terre, et je frémirai de joie dans ma tombe !…
À ce sacrilège mensonge, le jeune homme porta sur elle un regard épouvanté. Il voulut se lever, partir. Ses jambes se dérobèrent sous lui. Et il resta assis sur le canapé, faible, comme s’il allait s’évanouir. Elle se pencha, et, l’entourant de ses bras, comme d’un invincible lien, le pénétrant de sa chaleur, le grisant de son parfum, l’étourdissant de son désir :
— Il vous a donné à moi, vous m’appartenez de par sa volonté, et rien ne peut faire que vous ne m’aimiez pas, car, en vous, c’est lui qui m’aime.
Et Jacques sentait qu’elle disait vrai, et qu’une force mystérieuse l’enchantait déjà à cette femme, comme si Pierre lui avait transmis sa tenace passion avec son âme. Il se révolta pourtant contre cette tyrannie, et, oublieux de sa voluptueuse