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— Eh bien ! Patrizzi, vous qui les devinez toutes, nommez donc la femme qui vient de nous enlever de Vignes ?

— Parbleu ! si ce n’est pas Clémence Villa, que le diable m’emporte !

— Elle a eu vite fait d’oublier ce pauvre Laurier, dit un de ceux qui entouraient le prince.

— Mais Jacques ne l’a pas oublié, lui. Avez-vous vu son angoisse quand je lui ai parlé de son ami ? Son visage, l’instant d’avant, souriant, frais et rosé, a grimacé et s’est décomposé. Il était effrayant. On eût dit une tête de mort fardée. Notre ami Davidoff, vous en souvenez-vous, nous avait dépeint, avec une très curieuse précision, l’état moral de ce malade sauvé par la confiance. L’édifice de cette guérison est fragile, concluait-il. Un mot suffirait à le détruire. La conviction si passionnée qui a ranimé Jacques, venant à s’affaiblir, il retomberait aussi bas, plus bas même que nous ne l’avons vu… C’est une espèce de sortilège qui agit sur lui… Il est possédé d’une idée, et cette possession lui donne une force prodigieuse.

— C’est ce qui assure le succès des charlatans, des empiriques, des docteurs exotiques à rosettes multicolores, à baronnies suspectes, qui spéculent sur l’ardent désir des malades d’être rassurés.

— Et puis, il y a aussi les faux malades, qui se remettent très facilement, et notre ami de Vignes parait être de ceux-là.

Patrizzi hocha la tête, et gravement :

— Je le souhaite pour sa mère.

Une exclamation bruyante lut coupa la parole. Une bande de masques faisait une poussée dans la foule, au milieu des exclamations et des éclats de rire. Le groupe, dont le Napolitain formait le centre, s’ouvrit, et chacun des jeunes gens s’éloigna au gré de son plaisir.