de ces pauvres gens. Il se dit : Je ne serai pas longtemps une gêne pour eux, et je me rendrai promptement libre. Après un jour passé dans le village, un guide me conduira à travers la montagne, car il ne s’agit pas de me cantonner au bord de la mer, dans le has pays. Il faut voir la rude Corse, celle des maquis et des bandits. S’il y a des croquis à faire, c’est du côté de Bocognano, terre sainte de la vendetta… J’ai vingt louis dans mon porte-monnaie, et, dans mon portefeuille, un billet de mille francs, épaves du naufrage… C’est plus qu’il ne m’en faut, pour vivre quelques mois, dans cette contrée primitive, au milieu de ces gens sans besoins… Et quand il n’y aura plus d’argent, il me restera mon métier… Je brosserai des portraits à cent sous, en une séance… Cela me rajeunira !
La voiture, ayant franchi le pont de San-Pancrazio, roulait sur une route en pente entre deux bordures de châtaigniers séculaires. Le soleil descendait à l’horizon, empourprant la montagne de ses derniers feux. Agostino tourna au coin d’un petit chemin de terre dans lequel il s’engagea, sifflant joyeusement, comme les merles de son pays. Au bout de quelques cents mètres, il arrêta devant la barrière d’un enclos et sauta à bas de son siège. Un gros chien, qui accourait, en aboyant d’un air féroce, se jeta dans les jambes du jeune homme avec des hurlements de joie. Une vieille femme et une petite fille parurent dans le verger et s’avancèrent les mains tendues. Agostino les embrassa avec effusion, les poussa vers son sauveur, en expliquant son aventure, en patois corse, avec une volubilité sans pareille. Pierre remercié, fêté, entraîné dans le tourbillon de l’exubérante joie de ces bonnes gens, léché par le chien, pressé par la mère et l’enfant, se trouva installé dans la maison, très simple mais d’une admirable propreté, assis à la table de