Près de Cremsay, dont les flots écumeux
En mugissant rencontrent le rivage,
Quel noir fantôme apparaît à nos yeux,
Mêlant sa voix à celle de l’orage ?
Dans leurs terreurs les pâles matelots
Ont répété le chant des funérailles :
« Honneur, honneur à l’enfant des batailles,
« Paix au guerrier habitant des tombeaux. »
Qui trouble donc ta cendre solitaire ?
A-t-on ravi ta lance ou ton cimier ?
Illustre Éric, une main téméraire
A-t-elle osé toucher ton bouclier ?
Sur le tombeau je vois encor tes armes,
Dors du sommeil que goûtent les héros ;
Du voyageur fais cesser les alarmes
« Paix au guerrier habitant des tombeaux. »
Éric répond : « De quels cris de victoire
Mon monument a soudain retenti ?
D’un fils d’Odin ils célèbrent la gloire,
Le nom d’Harold……… »
— Arrête, dit le chevalier ; le noble scalde célébrait la valeur de nos pères, mais il n’entreprit jamais de faire entendre au héros le chant de ses propres exploits. Dans le banquet d’Odin, une place d’honneur est destinée au barde qui ne s’est jamais avili jusqu’à flatter mais une plus grande gloire encore sera le prix de celui qui ose dire des vérités peu agréables.
Le jeune Gunnar regarda son maître avec un sourire qui exprimait ses doutes, et ne répondit rien. Mais Harold devina aisément sa pensée. — Est-ce bien avec moi, dit-il, timide écuyer, que tu n’oses te livrer à la franchise ? Ta censure n’affecte pas plus mon cœur que l’hiver n’enlève au laurier ses feuilles toujours vertes. Parle quand tu voudras ; mais toutefois prends bien garde au caprice de ma sombre humeur. Il serait cruel pour moi de faire tomber l’orage de ma colère sur le jeune page qui a si longtemps porté mon bouclier, et qui n’a jamais cessé, malgré sa faiblesse, d’être le serviteur fidèle d’Harold.