son comptoir la retraite du diable. Ses guerres étaient finies ; c’était le jour des comptes, et les auteurs prétendent que c’est la coutume de ce digne personnage de ne jamais se plaindre jusqu’à ce qu’il soit obligé de payer ; et pour lors, par caractère, il pense toujours que l’ouvrage est trop peu de chose et le salaire trop fort[1].
Cependant, tout grognon qu’il est, il a si bon cœur que, lorsque son ennemi mortel fut terrassé et hors d’état de lui faire peur, le pauvre John était presque tenté de pleurer Buonaparte.
Tel était le personnage à qui Soliman fit son salamalec.
— Et qui êtes-vous ! Dieu vous damne ! répondit John.
— Je suis un étranger venu ici pour voir l’homme le plus heureux de tout le Frangistan[2] C’est du moins, seigneur, ce qu’on m’a assuré. — Heureux ! mes fermiers me refusent leurs rentes, mes pâturages sont sans bestiaux et mes terres sans culture ; le sucre et le rum ne sont plus que des drogues, et les rats et les teignes sont les seuls consommateurs de mes bons draps. Heureux ! Eh quoi ! la maudite guerre et les taxes nous ont a peine laissé un habit sur le dos.
— Dans ce cas, seigneur, je dois prendre congé de vous. Je venais vous demander une grâce, mais je vois bien…..
— Une grâce ? dit John en fronçant le sourcil. Mais, tenez, vous me paraissez quelque pauvre pêcheur étranger ; prenez cela pour vous procurer une chemise et un dîner.
Ce disant, il lui jeta une guinée au visage ; mais le sultan reprit avec dignité :
— Permettez-moi de refuser votre générosité. Je cherche en effet une chemise, mais aucune des vôtres, seigneur. Je vous baise les mains, et adieu.