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226 MARMION.

murmure a cessé ; ma muse romantique plane dans les airs, s’égare, et, fatiguée de ses rêveries, retombe enfin sur la terre. Cependant notre œil se plaît à suivre l’ombre fugitive et les détours irréguliers du ruisseau ; notre oreille aime à écouter la brise légère dont les sauvages soupirs se glissent à travers les feuilles d’automne. Inconstans comme tes nuages, le ruisseau et le vent d’automne, coulez, oui, coulez librement, ô mes vers !

Ai-je besoin de te dire, cher Erskine, que ma muse se plaît un peu trop peut-être à tromper le lecteur, en passant tour à tour d’un mode doux et léger à un mode plus énergique ? Au milieu de ces caprices du poète, un transport plus noble l’inspire quelquefois ; alors ton indulgente amitié veut bien excuser toutes ses erreurs ; et souvent tu m’as dit : — Si tu veux consacrer tes momens de loisir aux rêveries poétiques, renonce à ton humeur inconstante, et va puiser aux véritables sources. Imite les grands maîtres ; contemple avec une noble envie le laurier immortel qui couronne leurs monumens ; du fond des tombeaux, leur voix pourra se faire entendre encore au barde timide, et lui donner des leçons. Choisis parmi eux un guide illustre, suis les routes qu’ils ont frayées, et ne va pas, sur les traces des ménestrels des temps barbares, t’égarer dans des sentiers inconnus.

— Crois-tu donc que notre siècle ne saurait pas aussi t’offrir des sujets classiques ? Le monument révéré de Brunswick ne peut-il donc t’inspirer quelque noble élégie ? Quoi ! pas un vers, une larme, un soupir, quand la valeur s’immole pour la liberté. O héros de ces temps glorieux ! Lorsque, brillant d’un éclat sublime et bravant à la fois la belliqueuse Autriche, la Russie, la France et l’Europe liguée, l’astre de Brandebourg parut à l’horizon, tu ne voulus pas vivre pour le voir s’éclipser à jamais dans les plaines d’Iéna. Héros infortuné !… Il ne t’était pas donné de changer les arrêts du destin, d’étouffer l’hydre dès sa naissance, de briser la verge destinée à châtier la terre coupable… Héros infortuné ! tu n’eus pas le pouvoir de sauver la Prusse, en ce jour où, trop présomptueuse, elle se précipita sur un champ de bataille, armée de la lance, mais oubliant le bouclier ! 1Von, il t’était réservé d’unir en vain la valeur à la prudence : tu auras cru indigne de tes cheveux blancs de supporter cette dernière injure, la plus cruelle de toutes, celle de voir les royaumes

CHANT TROISIÈME. 227