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CHANT SECOND. 209

sensible de la bonne veuve ne se ranime plus pour épier le bruit de ses pas ; elle ne l’attend plus à l’heure de midi, et ne s’occupe plus à orner sa chaumière pour la recevoir triste et pensive, elle tourne son rouet bruyant ou prépare le repas de ses orphelins, en bénissant encore la main qui les nourrit.

Le vallon de l’Yair, où les collines plus resserrées laissent à peine un étroit passage à la Tweed qui mugit, bouillonne et s’échappe en torrens écumeux, ce vallon a vu partir son seigneur de noble lignage. Laissé seul sur les rives du fleuve, je regrette de ne plus avoir près de moi ces jeunes compagnons de mes promenades, touchant à peine à la première adolescence, âge heureux où la franchise s’exprime avec un aimable abandon. Serrés à mes côtés, avec quel plaisir ils m’entendaient parler de Wallace, quand je leur montrais du doigt son éminence que j’appelais un lieu sacré[1] ! Comme leurs yeux s’enflammaient à mes récits et moi je souriais en pensant que, malgré la différence des années, mon front avait ressenti quelque étincelle de ce feu qui colorait leurs joues. Heureux enfans ! des sentimens si purs ne peuvent long-temps durer : entraînés par le flot rapide de la vie, il ne vous sera pas permis de vous arrêter sur la rive, car le destin vous précipitera loin du bord, et les passions dirigeront la voile et le gouvernail de votre navire. Cependant chérissez toujours le souvenir du ruisseau et de la montagne solitaire : oui, mes amis, un temps viendra sans doute où, domptant vos transports fougueux, vous penserez souvent, et sans remords, je l’espère, à ces jours de bonheur et de liberté que nous avons goûtés ensemble sur le penchant des coteaux.

Lorsque, rêvant à nos amis absens, nous sentons doublement que nous sommes seuls, il y a encore un charme dans nos regrets : ce sentiment flatte le vif désir d’isolement et de repos qu’éprouvent les ames tendres : le tumulte du monde l’empêche de se faire écouter ; mais c’est à un cœur préparé par la solitude, que sa voix douce inspire plus facilement un mélange de résignation et de contentement. Souvent la vue du lac silencieux de Sainte-Marie a réveillé dans mon ame ces pensées : ni joncs ni roseaux n’en souillent le limpide cristal ; la montagne s’arrête

  1. Il y a sur une côte de montagnes au-dessus la ferme d’Ashestell, un fossé appelé la tranchée de Wallace. — Ed.