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pas que notre Roi est le Dieu des vertus, qu’il est un maître fort et puissant, et qu’on ne peut lui résister ? Envoyez-lui vite un courrier, faites lui connaître l’extrémité où ses gens sont réduits ; ils demandent du secours : qu’il leur amène du secours. Et qui se chargera de ce message, dit la Crainte ? les ténèbres couvrent la terre, des ennemis nombreux enveloppent la placée et la surveillent avec soin ; le pays nous est inconnu. On appelle la Justice qui leur donnait l’hospitalité. Aidez-nous donc, lui disent-elles, aidez-nous si vous pouvez. Courage, leur répond-elle, courage. J’ai ici un excellent courrier, très-dévoué au Roi et bien connu à la cour : c’est la Prière ; elle sait aller la nuit et par des routes secrètes jusqu’au ciel, se glisser jusqu’à la chambre du Roi, et par des paroles adroites et pressantes agir sur son esprit, et obtenir de lui secours pour ceux qui sont en danger. Eh bien, que ce courrier parte, s’il le veut. Tous ayant consenti, la Prudence donna à la Prière ses instructions sur ce qu’elle avait à représenter au Roi : la Justice lui recommanda la fidélité, la pressa de ne pas revenir les mains vides. Toutes, la Crainte surtout, l’exhortèrent à voyager avec toute la rapidité possible ; puis on lui fraya un passage secret à travers les murailles, et les bataillons ennemis. Elle arrive avec la rapidité de l’oiseau, aux portes de la nouvelle Jérusalem. Elles étaient fermées ; la Prière heurte, les gardes s’irritent d’un bruit qui trouble le repos des habitants, au milieu de la nuit, et qui peut réveiller le Roi. Mais le messager redouble d’instances, et crie plus haut encore : ouvrez-moi les portes de la justice ; quand j’y serai entré je parlerai à notre Roi et je lui dirai les douleurs innombrables qui me remplissent le cœur. C’est ici la porte de mon Maître. La Justice m’a envoyé vers vous, pour qu’on m’introduise chez le Roi, car j’ai un message secret et important a lui communiquer : une voix terrible comme le tonnerre a retenti sur notre terre.

7. Le Roi ayant appris l’arrivée d’un courrier de la Justice ordonne de l’introduire. La Prière entre, se prosterne, adore le Roi en disant : ô Roi, vivez à jamais. Votre maître se porte-t-il bien, lui demande le monarque ? Très-bien, répond-elle et grâce à votre bonté : mais voici une affaire urgente. Votre serviteur échappé aux mains des ennemis, pour vous obéir, s’est réfugié dans le château de mon maître, un de vos soldats. Or, sire, ce château est situé au midi, dans un pays brûlé par la sécheresse, et les vivres y manquent. Que mon Seigneur donne sa bénédiction et notre terre se couvrira de fruits. Nos ennemis sont réunis en grand nombre pour nous combattre : il nous faut votre secours dans l’affliction où nous voilà réduits, car de vous seul, ô mon Dieu, nous attendons protection. Alors notre Roi dont la nature est la bonté même, touché de ces larmes, appela la Charité et lui dit : Qui pourrions-nous envoyer au secours de ces malheureux ? Elle répondit : Me voici. Seigneur, envoyez-moi, je suis prête. Le Roi songeant à lui donner une escorte, je n’ai besoin, dit-elle, que de mes seuls domestiques. Aussitôt elle se met en route suivie d’un noble cortège, de la Joie, la Paix, la Patience, la Longanimité, la Bonté, l’Affabilité, la Douceur. À la tête de cette troupe notre illustre chef s’avance, assuré de la victoire ; il lève l’étendard triomphal, traverse les lignes ennemies, et arrive à la porte du château qui s’ouvre devant lui. Son arrivée excite dans la place des transports incroyables. Sous l’inspiration de la Joie, des cris s’élèvent, des acclamations retentissent, elles vont jusque dans le camp des assiégeants jeter la consternation dans les cœurs. Ô Dieu ! s’écrient ces derniers, que signifient donc ces bruyantes réjouissances qui partent du camp d’Israël et frappent nos oreilles ? Rien de pareil les jours passés : assurément il leur est arrivé du secours ; ils vont tenter contre nous une sortie furieuse ; fuyons Israël : le Seigneur combat pour lui. Cependant la Charité impatientée des lenteurs qu’on met a attaquer l’ennemi ordonne de ranger l’armée en bataille, d’ouvrir les portes du château, et de poursuivre l’ennemi ; elle déclare qu’elle ira jusqu’aux portes de l’enfer. L’armée de la Charité s’ébranle : les troupes de Babylone n’en peuvent soutenir le choc, elles fuient, sans échapper toutefois aux mains de leurs adversaires. Mille tombent sous les coups de la Crainte et dix mille sous ceux de la Charité.