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J'avois trouvé, j'aimois cette perle si belle
Sans pouvoir me résoudre à tout vendre pour elle.
Par deux puissans rivaux tour à tour attiré
J'étois de leurs combats au-dedans déchiré.
Mon dieu m'aimoit encor, et sa bonté suprême
A mes tristes regards me présentoit moi-même.
Hélas qu'en ce moment je me trouvois affreux !
Mais j'oubliois bien-tôt mon état malheureux :
Un sommeil létargique accabloit ma paupiere.
M'éveillant quelquefois, je cherchois la lumiere ;
Et dès qu'un foible jour paroissoit se lever,
Je refermois les yeux, de peur de le trouver.
Une voix me crioit, sors de cette demeure .
Et moi, je répondois, un moment, tout-à-l'heure .
Mais ce fatal moment ne pouvoit point finir,
Et cette heure toujours differoit à venir.
De mes premiers plaisirs la troupe enchanteresse
Voltigeant près de moi, me répétoit sans cesse :
Nous t'offrons tous nos biens, et tu veux nous quitter.
Sans nous, sans nos douceurs, qui peut se contenter ?
Le sage en nous cherchant trouve un bonheur facile ;
Son corps est satisfait, et son ame est tranquile.
Mortels, vivez heureux et profitez du tems :
Du torrent de la joie enyvrez tous vos sens.
Fuyez de la vertu l'importune tristesse ;
Couchez-vous sur les fleurs, dormez dans la mollesse.
Et toi que des long-tems nos bienfaits ont charmé,
Crois-tu donc qu'avec nous ton cœur accoutumé
Puisse ainsi s'arracher aux délices qu'il aime ?
Hélas, en nous perdant tu te perdras toi-même.