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Le voyageur qu’arrête un obstacle liquide,
A l’écorce d’un bois confie un pied timide.
Retenu par la peur, par l’intérêt pressé,
Il avance en tremblant ; le fleuve est traversé.
Bientôt ils oseront, les yeux vers les étoiles,
S’abandonner aux mers sur la foi de leurs voiles.
Avant que dans les pleurs ils pétrissent leur pain,
Avec de longs soupirs ils ont brisé le grain.
Un ruisseau par son cours, le vent par son haleine,
Peut à leurs faibles bras épargner tant de peine ;
Mais ces heureux secours, si présents à leurs yeux,
Quand ils les connaîtront, le monde sera vieux.
Homme né pour souffrir, prodige d’ignorance,
Où vas-tu donc chercher ta stupide arrogance ?
Tandis que le besoin, l’industrie, et le temps
Polissent par degré tous les arts différents ;
Enfantés par l’orgueil tous les crimes en foule
Inondent l’univers ; le fer luit, le sang coule.
Le premier que les champs burent avec horreur
Fut le sang qui d’un frère assouvit la fureur.
Ces malheureux tombant d’abîmes en abîmes
Fatiguèrent le ciel par tant de nouveaux crimes,
Qu’enfin, lent à punir, mais las d’être outragé
Par un coup éclatant leur maître fut vengé.
De la terre aussitôt les eaux couvrent la face :
Ils sont ensevelis ; c’était fait de leur race :
Mais un juste épargné va rendre en peu de temps
A ce monde désert de nouveaux habitants.
La terre toutefois jusque-là vigoureuse
Perdit de tous ses fruits la douceur savoureuse.