Page:Oeuvres de Louis Racine, T1, 1808.djvu/151

Cette page n’a pas encore été corrigée

Je n’estime que moi : tout autre que moi-même,
Si je semble l’aimer, c’est pour moi que je l’aime.
Je me hais cependant, sitôt que je me vois.
Je ne puis vivre seul : occupé loin de moi
Je n’aspire qu’à plaire à ceux que je méprise.
Sans doute qu’à ces mots, des bords de la Tamise
Quelque abstrait raisonneur, qui ne se plaint de rien,
Dans son flegme anglican répondra, tout est bien.
"Le grand ordonnateur dont le dessein si sage,
De tant d’êtres divers ne forme qu’un ouvrage,
Nous place à notre rang pour orner son tableau."
Eh ! Quel triste ornement d’un spectacle si beau !
Quoi ! Mes pleurs (n’est-ce pas un crime de le croire ?)
D’un maître bienfaisant relèveraient la gloire !
Pour d’autres biens peut-être il nous a réservés,
Et tous ses grands desseins ne sont point achevés.
Oui, je l’ose espérer. Juste arbitre du monde,
De la solide paix source pure et féconde,
Etre partout présent, quoique toujours caché,
Des maux de tes sujets quand seras-tu touché ?
Tendre père, témoin de nos longues alarmes,
Pourras-tu voir toujours tes enfants dans les larmes ?
Non, non. Voilà de toi ce que j’ose penser.
Ta bonté quelque jour saura mieux nous placer.
Mais comment retrouver la gloire qui m’est due ?
Qui peut te rendre à moi, félicité perdue ?