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Supposons cependant tous leurs rapports certains,
Comment opposerai-je au reste des humains
Un stupide sauvage errant à l’aventure,
A peine de nos traits conservant la figure ;
Un misérable peuple égaré dans les bois,
Sans maîtres, sans états, sans villes et sans lois :
Qu’à bon droit, libertins, vous êtes méprisables,
Lorsque dans ces forêts vous cherchez vos semblables !
Ces hommes toutefois à ce point abrutis,
Dans la nuit de leurs sens tristement engloutis,
Montrent quelques rayons d’une image divine,
Restes défigurés d’une illustre origine.
Il est une justice, et des devoirs pour eux :
Du sang qui les unit ils connaissent les nœuds.
Au plus barbare époux la tendre épouse est chère :
Il chérit son enfant, il respecte son père.
La nature sur nous ne perd point tous ses droits.
Mais ces droits que sont-ils ? D’imaginaires lois,
Quand d’un être vengeur j’ai secoué la crainte,
Ne peuvent sur mon âme établir leur contrainte.
C’est pour moi que je vis, je ne dois rien qu’à moi.
La vertu n’est qu’un nom, mon plaisir est ma loi.
Ainsi parle l’impie, et lui-même est l’esclave
De la foi, de l’honneur, de la vertu qu’il brave.
Dans ses honteux plaisirs il cherche à se cacher,
Un éternel témoin les lui vient reprocher :
Son juge est dans son cœur, tribunal où réside
Le censeur de l’ingrat, du traître, du perfide.
Si par ses noirs complots nous sommes outragés,
De près suivra la peine, et nous serons vengés.