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On les en voit enfin sortir à pas timides,
D’abord faibles ruisseaux, bientôt fleuves rapides.
Des racines des monts qu’Annibal sut franchir,
Tranquille ferrarois, le Pô va t’enrichir :
Impétueux enfant de cette longue chaîne,
Le Rhône suit vers nous le penchant qui l’entraîne !
Et son frère emporté par un contraire choix,
Sorti du même sein va chercher d’autres lois.
Mais enfin terminant leurs courses vagabondes,
Leur antique séjour redemande leurs ondes :
Ils les rendent aux mers ; le soleil les reprend :
sur les monts, dans les champs l’aquilon nous les rend.
Telle est de l’univers la constante harmonie.
De son empire heureux la discorde est bannie :
Tout conspire pour nous ; les montagnes, les mers,
L’astre brillant du jour, les fiers tyrans des airs.
Puisse le même accord régner parmi les hommes !
Reconnaissons du moins celui par qui nous sommes,
Celui qui fait tout vivre, et qui fait tout mouvoir.
S’il donne l’être à tout, l’a-t-il pu recevoir ?
Il précède les temps ; qui dira sa naissance ?
Par lui l’homme, le ciel, la terre, tout commence,
Et lui seul infini n’a jamais commencé.
Quelle main, quel pinceau dans mon âme a tracé
D’un objet infini l’image incomparable ?
Ce n’est point à mes sens que j’en suis redevable.
Mes yeux n’ont jamais vu que des objets bornés,
Impuissants, malheureux, à la mort destinés.
Moi-même je me place en ce rang déplorable,
Et ne puis me cacher mon malheur véritable ;