Page:Oeuvres de Camille Desmoulins - Tome 1.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 141 —

J’écoutai tout et ne dis pas une parole. Bientôt, je vis chacun s’armer. Camille, mon cher Camille, arriva avec un fusil. Ô Dieu ! je m’enfonçai dans l’alcôve, je me cachai avec mes deux mains et me mis à pleurer ; cependant, ne voulant point montrer tant de faiblesse et dire tout haut à Camille que je ne voulais pas qu’il se mêlât dans tout cela, je guettai le moment où je pouvais lui parler sans être entendue, et lui dis toutes mes craintes. Il me rassura en me disant qu’il ne quitterait pas Danton. J’ai su depuis qu’il s’était exposé.

Fréron[1] avait l’air d’être déterminé à périr. « Je suis las de la vie, disait-il, je ne cherche qu’à mourir. » Chaque patrouille qui venait, je croyais les voir pour la dernière fois. J’allai me fourrer dans le salon qui était sans lumière, pour ne point voir tous ces apprêts. Personne dans la rue. Tout le monde était rentré. Nos patriotes partirent. Je fus m’asseoir près d’un lit, accablée, anéantie, m’assoupissant parfois, et lorsque je voulais parler, je déraisonnais. Danton vint se coucher. Il n’avait pas l’air fort empressé ; il ne sortit presque point. Minuit approchait. On vint le chercher plusieurs fois ; enfin il partit pour la

  1. L’amitié de Fréron pour Camille et Lucile était très vive ; plus tard lorsque Fréron quitta Paris, ils furent en correspondance suivie ; rien n’est curieux comme les marques d’affection et les termes de tendresse qu’ils échangent.