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pagne. Déjà tous les esprits fermentaient bien fort. On avait voulu assassiner Robespierre. Le 9, j’eus des Marseillais à dîner, nous nous amusâmes assez. Après le dîner, nous fûmes tous chez M. Danton. La mère pleurait, elle était on ne peut plus triste, son petit avait l’air hébété ; Danton était résolu. Moi, je riais comme une folle. Ils craignaient que l’affaire n’eût pas lieu. Quoique je n’en fusse pas du tout sûre, je leur disais, comme si je le savais bien, qu’elle aurait lieu. « Mais, peut-on rire ainsi ! me disait Madame Danton. — Hélas ! lui dis-je, cela me présage que je verserai bien des larmes peut-être ce soir. » Sur le soir, nous fûmes reconduire Madame Charpentier. Il faisait beau ; nous fîmes quelques tours dans la rue ; il y avait assez de monde.

Nous revînmes sur nos pas, et nous nous assîmes tout à côté du café. Plusieurs sans-culottes passèrent en criant : Vive la nation ! puis des troupes à cheval, enfin des foules immenses. La peur me prit. Je dis à Madame Danton : « Allons-nous-en. » Elle rit de ma peur ; mais à force de lui en dire, elle eut peur à son tour, et nous partîmes. Je dis à sa mère : « Adieu, vous ne tarderez pas à entendre sonner le tocsin. » En arrivant chez Danton, j’y vois Madame Robert et bien d’autres. Danton était agité. Je courus à Madame Robert et lui dis : « Sonnera-t-on le tocsin ? — Oui, me dit-elle, ce sera ce soir. »