Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/692

Cette page n’a pas encore été corrigée

de ces maisons. C’était tarir la source des dis- sensions qui jusqu’à son prédécesseur avaient déchiré l’Église, parce que les cardinaux se servent du crédit et de l’influence que leur donne cette dignité, pour fomenter au dedans et au- dehors des troubles auxquels les seigneurs de l’une et l’autre faction sont obligés de prendre part ; en sorte qu’il est vrai de dire que la dis- corde qui est entre les barons vient toujours de l’ambition des prélats. Le pontife régnant a donc trouvé l’Église au plus haut degré de puissance. Mais si Alexan- dre et Ju’es l’ont affermie par leur courage, tout nous promet que Léon X couronnera l’œuvre par sa bonté et par mille autres qua’ités pré- cieuses. CHAPITRE XII. Des différentes espèces de milice et des soldats mercenaires. Ayant traité en détail des différentes espèces d’états politiques que je n’étais proposé de faire connaître, et recherché les causes de leur prospérité comme de leur décadence, ainsi que les moyens par lesquels plusieurs les ont acquis ou conservés, il ne me reste à parler que des ressources que présentent les différentes es- pèces de milice, soit pour l’attaque, soit pour la défense. J’ai déjà dit que les princes doivent donner à leur puissance des bases solides, s’ils veulent qu’elle soit durable. Or, les principaux fon- dements des états, soit anciens, soit nouveaux, soit mixtes, sont les bonnes lois et les bonnes troupes ; mais comme il ne peut y avoir de bonnes lois sans de bonnes troupes, et que ces deux éléments de la puissance politique ne vont jamais l’un sans l’autre, il me suffira de parler de l’un des deux. Les troupes qui servent à la défense d’un état sont ou nationales, ou étrangères, ou mix- tes. Celles de la seconde classe, soit qu’elles ser- vent en qualite d’auxiliaires ou comme merce- naires, sont inutiles et dangercuses, et le prince qui fera fond sur de tels soldats ne sera ja- mais en sùreté, parce qu’ils sont toujours dés- unis, ambitieux, sans discipline et peu fidè’es, braves contre les amis, lâches en présence de | l’ennemi, et n’ayant ni crainte de Dieu, ni bonne foi envers les hommes ; en sorte que le prince ne peut retarder sa chute qu’en différant de mettre leur courage à l’épreuve. Et, pour tout dire d’un mot, elles pillent l’état en temps de paix comme le ferait l’ennemi en temps de guerre. Comment en serait-il autrement ? ces sortes de troupes ne pouvant servir un état que pour l’intérêt d’une paie, qui n’est jamais assez forte pour la leur faire acheter aux dé- pens de leur vie, elles veulent bien servir en temps de paix ; mais sitôt que la guerre est dé- clarée, il est impossible de les retenir sous leurs drapeaux.

C’est un point qu’il serait aisé de prouver, puisque la ruine de l’Italie ne vient aujourd’hui que de la confiance qu’elle a mise dans des troupes mercenaires, qui d’abord rendirent quelques services, mais qui donnèrent la me- sure de leur bravoure dès que les étrangers parurent. Aussi Charles, roi de France, se ren- dit-il maître de l’Italie avec un peu de craie ; et ceux qui disaient que nos péchés en étaient la cause, accusaient vrai. C’est effectivement nos fautes qui nous ont valu ce malheur, ou plutôt celles des princes qui au fait en ont porté la peine.

Pour jeter un nouveau jour sur cette ma- tière, j’observe qu’on ne peut se fier aux chefs de ces troupes, qu’ils soient bons ou mauvais officiers ; dans le premier cas, parce qu’ils ne croient pouvoir s’élever qu’en opprimant le prince qui les emploie, ou en opprimant les au- tres contre son vœu ; dans le second, parce qu’ils ne peuvent que håter la ruine de l’état qu’ils servent si mal.

On dira peut-être que tout autre capitaine qui aura les armes à la main fera de même ; sur quoi j’ajoute que l’état qui fait la guerre est ou monarchique ou républicain. Dans le pre- mier cas, c’est au prince à se mettre à la tête des armé s ; dans le second, la république doit donner le commandement de ses troupes à l’un de ses citoyens. S’il n’y est point propre, elle doit en nommer un autre ; et s’il est bon capi- etaine, elle doit le tenir dans une telle dépen- dance qu’il ne puisse outre-passer ses ordres. Il est constant que les états, soit républi- cains, soit autres, peuvent faire par eux-mêmes de très-grandes choses, et que les mil ces mer.