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Il ne faut donc pas s’étonner si un peloton de fantassins arrête souvent le choc de la cava- lcrie ; car le cheval est un animal sensible qui conuait le danger, et ne s’y expose pas volon- tiers. Et si vous réfléchissez à la force qui le pousse ou à la force qui l’arrête, vous verrez que celle-ci est beaucoup plus puissante que l’autre ; car s’il est poussé par l’éperon d’un côté, il est arrêté de l’autre par l’aspect des piques et des épées. Aussi a-t-on vu très-sou- vent, chez les anciens comme parmi les mo- dernes, un peloton d’infanterie se maintenir invincible contre tout l’effort de la cavalerie. Ne me dites pas que l’impétuosité avec laquelle on pousse le cheval fait que son choc est plus terrible, et le rend plus sensible à l’éperon qu’à l’aspect des piques ; car dès qu’il commence à s’apercevoir que c’est à travers ces pointes de piques qu’il faut pénétrer, de lui-même il ra- lentit sa course, et lorsqu’il se sent piquer il se détourne aussitôt à droite ou à gauche. Si vous voulez vous en convaincre, faites courir un cheval contre un mur : avec quelque force que vous le poussiez, vous en trouverez bien peu qui y donnent de la tête. Aussi César ayant à combattre les Helvétiens dans les Gaulcs, des- cendit de cheval et en fit descendre également toute sa cavalerie, et il ordonna d’éloigner les chevaux du corps de bataille, les regardant comme plus propres à la fuite qu’au combat. Outre ces obstacles naturels qu’éprouve la cavalerie, le commandant d’un corps d’infan- terie doit toujours choisir des chemins qui pré- sentent aux chevaux de grandes difficultés, et il arrive rarement qu’il ne puisse préserver 82 troupe par la seule disposition du terrain. S’il traverse des collines, il n’a rien à craindre de cette impétuosité dont vous parlicz ; s’il marche dans des plaines, il y en a peu qui n’offrent des moyens de défense dans leurs bois ou leurs plantations ; il n’y a pas de buisson ou de fossé qui n’arrête cette impétuosité ; et si le terrain est planté de vignes ou d’autres arbres, il est impénétrable à la cavalerie. Il en est de même un jour de bataille : le plus petit obstacle rend vaine toute l’impétuosité d’une charge de cava- lerie. Au reste, je veux vous rappeler à cet égard que les Romains avaient tant de confiance dans la supériorité de leur tactique et de leurs armes, que, lorsqu’au jour du combat, ils avaient à choisir entre un lieu difficile qui les préservåt de l’impétuosité de la cavalerie, mais ne leur permit pas de faire librement toutes leurs évolutions, ou un autre terrain uni qui dùt leur rendre la cavalerie plus re- doutable, mais leur laissât les moyens de se developper à leur gré, ils préféraient toujours ce dernier champ de bataille. Nous avons imité les anciens et les modernes pour armer notre infanterie. Il est temps main- tenant de passer aux exercices. Nous allons examiner ceux que les Romains exigeaient de leur infanterie avant de les mener au combat. Quels que soient le choix et les armes d’un soldat, ses exercices doivent être le prin- cipal objet de vos soins, sinon vous n’en tirerez aucun parti utile. Il faut les considérer sous trois rapports ; il faut 1° endurcir le soldat à la fatigue, l’habituer à supporter tous les maux, lui donner de l’agilité et de l’adresse ; 2° lui apprendre à manier ses armes ; 3° l’in- struire à conserver ses rangs à l’armée, soit dans la marche, soit au camp, soit en combat- tant. Voilà les trois principales opérations d’une arméc. Si sa marche, son campement, son ordre de bataille ont été réglés avec ordre et méthode, son général n’en sera pas moins esti- mé quand même la victoire n’aurait pas cou- ronne ses travaux. Les lois et les usages avaient établi ces exer- cices dans toutes les républiques anciennes, sans en négliger aucune partie. Pour rendre les jeunes gens agiles on les exerçait à courir ; pour les rendre adroits, à sauter ; pour les ren- dre forts, à lutter ou à arracher un picu de terre.Ces trois qualités sont indispensables dans un soldat. S’il est agile, il court avant l’ennemi à un poste important, il fond sur lui lorsqu’il est le moins attendu, il le poursuit avec vigueur quand il l’a mis en déroute ; s’il est adroit, il sait esquiver le coup qui lui est porté, franchir un fossé, enlever un retranchement ; s’il est fort, il porte mieux ses armes, pousse plus vi- goureusement l’ennemi, et soutient mieux ses efforts. Pour l’endurcir contre tous les maux, on l’accoutumait à porter des fardeaux pe- sants. Rien de plus utile qu’une pareille habi- tude : souvent dans une expédition importante le soldat, outre ses armes, est obligé de porter des vivres pour plusieurs jours, et s’il n’est pas