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comme je le dirai dans une occasion où il s'agissait du mien. Au reste ce préjugé lui a été commun avec les plus grands hommes de l'antiquité, et même avec le peuple romain, qui confia sa destinée à des généraux dont le nom lui paraissait d'un heureux augure, pour avoir été porté par des hommes dont il chérissait la mémoire. C'est ce qu'on peut voir sur-tout dans la vie des Scipions.

Alors il n'y avait pas à Genève un citoyen bien élevé qui ne sût son Plutarque par cœur. Rousseau m'a dit qu'il a été un temps où il connaissait mieux les rues d'Athènes que celles de Genève. Les jeunes gens ne parlaient dans leurs conversations que de législation, des moyens d'établir ou de réformer la société. Les âmes étaient nobles, grandes et gaies. Un jour d'été, une troupe de bourgeois prenaient le frais devant leurs portes, ils causaient et riaient entre eux, lorsqu'un lord vint à passer. Il crut, à leurs rires, qu'ils se moquaient de lui. Il s'arrêta et leur dit fièrement : Pourquoi riez-vous quand je passe ? Un des bourgeois lui répondit sur le même ton : Eh ! pourquoi passez-vous quand