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de coupe ancienne ; sa haute cravate à double torsion était fixée par une fleur de lys d’or… Les yeux toujours baissés, la bouche contrite, les mains allongées dans les manches de sa redingote brune, M. Joseph Lerible s’exprimait lentement, avec des prudences sournoises et des inflexions mielleuses de prêtre… Chaussé, le pied droit, d’un soulier à clous, le pied gauche, d’une épaisse pantoufle de feutre, à cause de la goutte dont il souffrait, il boitillait, ou plutôt il sautillait en marchant. À peine s’il me regarda. Un moment je crus voir son regard sur moi, mais un tout petit regard sans la moindre expression et pareil au tout petit jour qui, dans une chambre sans fenêtres, filtrerait par l’imperceptible fente d’une boiserie. Le marquis me fit passer dans la pièce voisine, son cabinet, de travail, au milieu duquel s’étalait une table bureau Louis XIV, surchargée de papiers de toute sorte, en désordre. Et il me pria de l’attendre, là, quelques minutes. La porte, n’étant pas complètement fermée, je pus suivre la conversation, sans espionnage. Le marquis parlait haut, d’un ton tranchant, parfois irrité, toujours grossier. Je compris bien vite qu’il s’agissait de deux cerfs que le garde Rousseau avait trouvés la nuit dernière panneautés dans une partie de la forêt, appelée la Vente à Boulay… Furieux, le marquis s’écriait :

— Je vous dis… je vous ai toujours dit… que