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pide, une circulation ardente et réglée. Ses mains étaient longues, souples, un peu grasses, peut-être, mais très belles et très soignées… Il y avait, pour ainsi dire, deux hommes en cet homme et ces deux hommes, si distants l’un de l’autre et pourtant si rapprochés, se délimitaient très clairement en ce visage curieux et contradictoire, dont le haut montrait de la noblesse, presque de la beauté, dont le bas se marquait de tares ignobles… ici, un brave homme, peut-être, et là, sûrement, un chenapan. Au cours des générations dont il était aujourd’hui l’aboutissement composite, bien des sangs, toutes sortes de sangs avaient dû se mélanger, se substituer au sang originel, et y apporter, avec des hérédités contrariées, des forces ennemies, toute une vie en lutte avec elle-même.

La vie !… En effet, ce qui, tout d’abord, frappait en cet homme et vous séduisait, c’était la vie, l’intensité, le débordement de vie qui animait tout son être… Or, d’où qu’elle vienne, où qu’elle aille, quelle qu’elle soit, la vie est toujours, par son essence et par son mystère, sympathique.

Quand je rentrai dans la chambre, le marquis était en conférence avec son intendant, M. Joseph Lerible, auquel il me présenta… un vieux bonhomme au visage parcheminé, sec de corps et tout petit, très humble, très propre. Il portait visiblement une perruque trop blonde et